BAUX COMMERCIAUX : LA LOI PINEL À L’ÉPREUVE DE LA RÉALITÉ

BAUX COMMERCIAUX : LA LOI PINEL À L’ÉPREUVE DE LA RÉALITÉ

PAR HANAN CHAOUI, DOCTEUR EN DROIT, AVOCAT, COUNSEL, LEFÈVRE PELLETIER & ASSOCIÉS |  le 23/09/2016  |  Droit immobilier,  Corse,  Opérations immobilières,  Artisans,  Centre commercial

Ma newsletter personnalisée10 QUESTIONS SUR… –

L’équilibre juridique des relations entre bailleur et locataire a été bouleversé par la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel ». Deux ans après la publication de ce texte, et alors que ses décrets d’application sont désormais intervenus, certaines polémiques ne sont pas éteintes et des incertitudes demeurent, dont la mise en œuvre du lissage des loyers en cas de déplafonnement à la fin d’un bail. Par ailleurs, une réforme en chassant une autre, plusieurs dispositions de la loi Pinel ont été modifiées par la loi Macron, sans oublier la réforme du droit des contrats qui va impacter le régime des baux commerciaux. État des lieux en 10 questions.

1 Les ambiguïtés sur l’application de la loi Pinel dans le temps persistent-elles ?

La loi Pinel, promulguée le 18 juin 2014 et publiée au Journal officiel le 19 juin 2014, est entrée en vigueur le 20 juin 2014. En vertu du principe de non-rétroactivité des lois, la loi Pinel n’est pas applicable aux contrats en cours au 20 juin 2014. Toutefois, il existe des exceptions, de nature légale ou jurisprudentielle, à ce principe de non-rétroactivité. Les exceptions légales prévues par la loi Pinel sont rappelées ici : Indépendamment de ces exceptions légales, il ressort d’une jurisprudence constante que les effets légaux d’un contrat sont régis par la loi nouvelle et que les lois relatives à la procédure sont en principe d’application immédiate. Une fois ces principes rappelés, et plus de deux ans après sa promulgation, la jurisprudence est venue préciser que la loi Pinel n’est pas une loi de procédure et qu’elle n’est dès lors pas applicable aux procédures en cours (CA Paris, 16 décembre 2015, n° 14/13889, ou encore CA Douai, 31 mars 2016, n° 15/02278).

Concernant le droit de préférence du preneur (article L. 145-46-1 du Code de commerce), la cour d’appel de Bastia a décidé que ce texte était applicable aux cessions à compter du 18 décembre 2014. Une incertitude existait sur le fait de savoir si le droit de préférence était applicable aux cessions intervenues à compter du 1er décembre ou du 18 décembre 2014, en raison d’une imprécision du texte (CA Bastia, 20 janvier 2016, n° 15/00833).

S’agissant de la théorie des effets légaux du contrat, les juridictions ont considéré, comme il fallait s’y attendre, que la loi Pinel était applicable aux baux en cours en matière de formalisme des congés (CA Grenoble, 7 janvier 2016, n° 15/03438, TGI Paris, 11 août 2015, n° 15/56446).

Enfin, d’après les premières décisions intervenues en matière de renouvellement, les tribunaux semblent considérer que la règle de lissage du loyer est applicable aux baux renouvelés après le 1er septembre 2014, en tenant compte de la date d’effet du renouvellement et non de la date de la décision fixant le loyer (notamment, CA Paris, 2 décembre 2015, n° 14/09224, et CA Poitiers, 23 février 2016, n° 15/01293 – voir question 5) .

2 La règle du 3/6/9 et l’interdiction d’un bail à durée ferme est-elle applicable aux baux en cours ?

Avant la loi Pinel, le preneur avait la possibilité de résilier le bail commercial à l’expiration de chaque période triennale (suivant le classique cadencement 3/6/9), sauf si les parties prévoyaient une clause contraire. La loi Pinel a supprimé cette possibilité et le preneur ne peut plus, en principe, renoncer à sa faculté de résilier le bail à l’issue de chaque période triennale.

Par exception, les parties peuvent néanmoins conclure un bail d’une durée ferme supérieure à trois ans dans les quatre cas suivants : – les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans ; – les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, à savoir les locaux monovalents ; – les baux des locaux à usage exclusif de bureaux ; – les baux des locaux de stockage correspondant à des locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage de produits, de marchandises ou de biens, et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production (article 231 ter du Code général des impôts).

La loi Pinel n’a prévu aucune disposition particulière concernant l’entrée en vigueur de cette mesure liée à la durée ferme du bail. Aussi, en application des règles générales d’application de la loi dans le temps, l’interdiction de principe des baux fermes n’est pas applicable aux baux en cours. C’est ainsi, par exemple, que la cour d’appel de Poitiers a précisé, dans un arrêt du 26 avril 2016, que la règle relative à l’interdiction de principe des baux fermes, telle qu’issue de la loi Pinel, n’était pas applicable aux baux en cours (CA Poitiers, 26 avril 2016, n° 14/02891). Cette jurisprudence est d’ailleurs conforme à la volonté du gouvernement et des parlementaires, telle qu’elle ressort des débats précédant l’adoption de la loi Pinel, tendant à ne pas remettre en cause les situations contractuelles en cours. Toutefois, une réponse ministérielle du 31 mai 2016 a considéré que l’interdiction de principe des baux fermes, issue de la loi Pinel, serait applicable immédiatement aux baux en cours au motif que cette mesure « relève de l’ordre public de protection et que cette solution est justifiée par la nécessité d’assurer l’égalité de traitement des preneurs de baux commerciaux et dans un souci d’efficacité de la règle nouvelle » (voir p. 17), et que cela ne remettrait pas en cause l’équilibre économique des contrats conclus avant la loi Pinel. Cette analyse est critiquable dans la mesure où la négociation de baux fermes intervient en général en échange de contreparties financières (franchise de loyer) ou de réalisations de travaux par le bailleur. Dès lors, l’application immédiate aux baux en cours au 20 juin 2014 de l’interdiction de principe des baux d’une durée ferme aurait des répercussions sur l’accord des parties conclu avant la loi Pinel. En tout état de cause, les réponses ministérielles, sauf en matière fiscale, ne lient pas les tribunaux, ainsi que cela a été précisé par une réponse ministérielle du 23 janvier 1995 (réponse du service du Premier ministre publiée au JOAN du 23/01/1995, p. 406, à la question n° 21956 de François Sauvadet publiée au JOAN du 19/12/1994, p. 6278). D’ailleurs, à plusieurs reprises, les hautes juridictions ont eu l’occasion de prendre position dans un sens contraire aux réponses ministérielles qui avaient été précédemment rendues sur les sujets concernés (voir notamment Cour cass. ch. com. , 10 mars 1976, n° 74-14681). Il convient maintenant de suivre attentivement la jurisprudence sur ce point, afin de voir si les tribunaux adopteront la position de la cour d’appel de Poitiers, contredisant ainsi la réponse ministérielle du 31 mai 2016.

3L’encadrement des charges améliore-t-il la transparence entre locataire et bailleur ?

L’encadrement des charges, taxes, redevances et impôts refacturables au preneur constitue indéniablement, avec le lissage des augmentations de loyers

(voir question 5) , la mesure-phare de la loi Pinel. Elle a permis d’instaurer davantage de transparence dans la relation locataire et bailleur en matière de refacturation de charges. Cette transparence intervient à tous les stades de la négociation et de la conclusion des baux. En effet, la loi Pinel et son décret d’application du 3 novembre ont inséré des règles d’ordre public afin de : – préciser que les catégories de charges, impôts, taxes et redevances dus par le preneur devaient être limitativement énumérées dans le bail (art. L. 145-40-2 du Code de commerce) ; – définir les charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne sont plus refacturables au preneur (art. R. 145-35 du Code de commerce) ; – définir les règles de répartition des charges, travaux, impôts, taxes et redevances (art. L. 145-40-2 du Code de commerce) ; – prévoir un état récapitulatif annuel des charges, travaux, impôts, taxes et redevances mentionnant la répartition entre le bailleur et le preneur (art. L. 145-40-2 du Code de commerce) ; – prévoir le délai dans lequel cet état récapitulatif devra être adressé au preneur (art. R. 145-36 du Code de commerce).

En dépit des résistances dont certains syndicats de commerçants font état, cette réglementation est maintenant bien intégrée par tous les opérateurs, bailleurs comme preneurs. En outre, l’obligation pour le bailleur de communiquer lors de la conclusion du bail, puis tous les trois ans, un état prévisionnel des travaux envisagés par le bailleur dans les trois années suivantes avec un budget prévisionnel, ainsi qu’un état récapitulatif des travaux réalisés par le bailleur lors des trois précédentes années, en précisant leur coût (art. L. 145-40-2 du Code de commerce), a permis aux opérateurs d’envisager les futures évolutions de travaux de manière transparente. La communication de ces états prévisionnels de travaux a d’ailleurs pu, en pratique, occasionner de nouvelles négociations financières, notamment lorsque le bailleur prévoit, dans le délai des trois années, d’entreprendre des travaux dont le montant est de nature à augmenter le niveau des charges supportées par le preneur. Des difficultés pratiques sont toutefois apparues puisque la formulation générale de l’article L. 145-40-2 du Code de commerce évoque les « travaux » , sans autre précision. Il est donc difficile de déterminer si les travaux qui doivent être évoqués sont les travaux supportés par le bailleur et/ou les travaux supportés par le preneur. C’est pourquoi, généralement, les bailleurs ont pris l’habitude de viser dans leur annexe les travaux supportés par le bailleur et le preneur, afin d’éviter toute contestation.

4 Quelles sont les précisions attendues en matière de charges, taxes, redevances et impôts ?

Des interrogations relatives à la répartition des charges, travaux, taxes, redevances et impôts demeurent. Tout d’abord, la répartition des charges, travaux, taxes, redevances et impôts n’est pas uniforme. Concernant les impôts, taxes et redevances, le montant pouvant être imputé au preneur doit correspondre strictement : – au local occupé par chaque preneur ; – et à la quote-part des parties communes nécessaires à l’exploitation de la chose louée.

Concernant les charges et le coût des travaux, leur montant doit être réparti en « fonction de la surface exploitée » (art. L. 145-40-2 du Code de commerce). Mais la notion de surface exploitée n’est toujours pas définie. Aucune précision n’est intervenue à ce titre via le décret du 3 novembre 2014 ayant créé l’article R. 145-35 du Code de commerce. C’est d’ailleurs pourquoi, en l’état, il est recommandé de définir contractuellement la notion de surface exploitée.

Indépendamment de la répartition des charges, travaux, taxes, redevances et impôts, qui est duale, la notion de travaux d’embellissement fait toujours débat.

En effet, d’après l’article R. 145-35 du Code de commerce (issu du décret du 3 novembre 2014), les travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique peuvent être refacturés au preneur. Autrement dit, lorsque les travaux réalisés par le bailleur sont des travaux d’embellissement qui vont au-delà du simple remplacement à l’identique, ils peuvent être refacturés au preneur, même s’il s’agit de travaux relevant de l’article 606 du Code civil. Cette disposition de l’article R. 145-35 du Code de commerce a été vivement critiquée, notamment par les locataires qui craignent que cette disposition ne soit utilisée par les bailleurs afin d’augmenter le montant des travaux susceptibles d’être répercutés aux preneurs. D’ailleurs, dans le rapport d’information déposé le 15 juin 2016 par la Commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi Pinel, il est précisé que cette notion de travaux d’embellissement soulève de nombreuses interrogations : « La notion d’embellissement pourrait permettre de masquer des dépenses visant d’abord à accroître la valeur patrimoniale des ensembles commerciaux plutôt qu’à améliorer leur commercialité, ce qui pourrait être source de contentieux important. » Il est probable qu’une modification législative intervienne sur ce point, ou, à défaut, que la jurisprudence ait une approche restrictive de cette notion de travaux d’embellissement.

5 La règle du lissage des augmentations de loyers soulève-t-elle des difficultés ?

La loi Pinel a encadré les augmentations de loyer résultant d’une fixation du loyer à la valeur locative, soit lors du renouvellement de bail, soit lors des révisions du loyer en cours de bail. Le champ d’application du lissage des augmentations de loyer ne fait pas débat, en l’état. En matière de loyer de renouvellement, les baux concernés par le lissage des augmentations de loyer sont : – les baux soumis en principe au plafonnement du loyer prévu à l’article L. 145-34 du Code de commerce ; – les baux déplafonnés en raison de la durée contractuelle du bail (à savoir les baux d’une durée contractuelle supérieure à neuf ans).

En matière de loyer révisé (révision triennale de l’article L. 145-38 du Code de commerce ou révision visée par l’article L. 145-39 du Code de commerce), le lissage des augmentations de loyer concerne tous les baux, quelle que soit leur durée ou la destination contractuelle.

Ce qui fait débat, en revanche, comme le souligne le rapport d’information du 15 juin 2016, est le mode de calcul du lissage des augmentations de loyer. La loi Pinel précise que les augmentations de loyer sont limitées, pour une année, à hauteur de « 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ». Or, le terme de « loyer acquitté » n’est toujours pas précisé S’agit-il du dernier loyer contractuel, du dernier loyer réglé ou encore du loyer dû avant l’application de chaque palier ? Par ailleurs, s’agit-il du loyer indexé ou du loyer avant indexation ? En tout état de cause, les dispositions du Code monétaire et financier qui interdisent toute distorsion entre, d’une part, la période de variation des indices et, d’autre part, la période d’indexation devront être respectées (art. L. 112-1, 2e alinéa du Code monétaire et financier).

Ainsi, par exemple, si le bail prévoit une clause d’indexation annuelle, cette indexation ne peut porter que sur une assiette de loyer qui est applicable depuis au moins une année.

Nous ne disposons, en l’état, d’aucun recul jurisprudentiel, puisque les premières décisions relatives au lissage des augmentations de loyer ont pour le moment écarté l’application du dispositif instauré par la loi Pinel. En effet, le lissage des augmentations de loyer est applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 et les premières décisions des juridictions considèrent qu’il y a lieu de retenir la date d’effet du bail (voir question 1) .

6 La suppression de la référence à l’ICC a-t-elle augmenté le recours à l’ILC et à l’Ilat ?

La loi Pinel a supprimé la référence à l’indice du coût de la construction (ICC) pour le calcul du loyer plafonné en renouvellement ou en révision (en application de l’article L. 145-38 du Code de commerce). En conséquence, le calcul du loyer plafonné se fait à présent en fonction de l’évolution : – soit de l’indice des loyers des activités tertiaires (Ilat) ; – soit de l’indice des loyers commerciaux (ILC).

D’après le rapport d’information du 15 juin 2016, l’objectif de la loi était de soumettre les baux des artisans et commerçants (et, en particulier, les petits commerces) à un indice dont les variations trimestrielles sont moins fortes. Ce même rapport relaye les difficultés qui existent lorsque certaines activités sont susceptibles de relever à la fois de l’Ilat et de l’ILC (à savoir les agences bancaires, également qualifiées de « bureaux-boutiques »). En tout état de cause, la suppression de la référence à l’ICC pour le calcul du loyer plafonné n’a pas, de facto , entraîné une généralisation de l’indice Ilat ou ILC dans les clauses d’indexation conventionnelles. En effet, contrairement à ce qu’indique le rapport d’information, les règles issues de la loi Pinel n’empêchent pas les parties de prévoir, dans les clauses conventionnelles d’indexation, que le loyer soit indexé en fonction des évolutions de l’ICC. Cet indice ICC bénéficie d’une présomption de licéité en matière immobilière, en application des dispositions de l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier, selon lequel l’ICC demeure réputé être en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti. C’est pourquoi il est recommandé, en cas de doute sur le champ d’application de l’indice applicable, de retenir l’ICC dans les clauses d’indexation conventionnelles puisqu’il s’agit du seul indice qui est applicable de plein droit et sans risque.

7 En quoi les modes de délivrance des congés ont-ils été modifiés par la loi Macron ?

La loi dite « Macron » pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a été promulguée le 6 août 2015 et publiée au Journal officiel le 7 août 2015.

Cette loi est revenue sur certaines modifications issues de la loi Pinel du 18 juin 2014 en modifiant le mode de délivrance des congés.

En effet, alors que les congés devaient obligatoirement être délivrés par acte d’huissier, la loi Pinel a modifié l’article L. 145-9 du Code de commerce afin de permettre aux bailleurs et preneurs de délivrer congé, selon leur choix, par acte d’huissier ou par lettre recommandée avec avis de réception (LRAR), avec pour objectif de diminuer les coûts et d’alléger les procédures (cette possibilité de délivrer un congé par LRAR est toutefois susceptible d’entraîner de nombreuses difficultés, en cas de débat sur le destinataire ou la qualité et/ou le pouvoir du signataire de la lettre recommandée). En tout état de cause, la loi Macron a modifié l’article L. 145-9 du Code de commerce qui retrouve sa rédaction antérieure à la loi Pinel : la délivrance des congés par acte d’huissier redevient le principe.

Par ailleurs, la loi Macron a introduit à l’article L. 145-4 du Code de commerce, qui est d’ordre public, des dispositions spécifiques pour le preneur. Désormais, il n’existe que deux cas dans lesquels les congés pourront être délivrés par LRAR ou par acte d’huissier, il s’agit des congés émanant : – du preneur à l’expiration d’une période triennale ; – d’un preneur retraité ou ayant été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité.

8 Quelles sont les dispositions du statut des baux commerciaux réformées après la loi Pinel ?

La loi Pinel a modifié les modes de délivrance des congés, sans évoquer le sort des demandes de renouvellement. La loi Macron est venue réparer cet oubli en modifiant non seulement le mode de délivrance des demandes de renouvellement (voir question 7) , mais également le mode de délivrance des autres actes. Concernant la demande de renouvellement, le preneur dispose désormais, en application de la loi Macron, de la pos sibilité de notifier les demandes de renouvellement par LRAR ou par acte d’huissier, alors que l’acte d’huissier était précédemment obligatoire. Le bailleur, qui entend refuser le renouvellement dans les trois mois de la notification de la demande en renouvellement, doit en revanche continuer à délivrer sa réponse par acte d’huissier. Concernant les autres actes, la loi Macron a étendu la possibilité de recourir à la LRAR dans les cas suivants : – la demande de déspécialisation partielle adressée par le preneur au bailleur (art. L. 145-47 du Code de commerce) ; – la demande de déspécialisation totale adressée par le preneur au bailleur et sa dénonciation aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce (art. L. 145-49 du Code de commerce) ; – la renonciation par le preneur à une décision judiciaire ayant autorisé une demande de déspécialisa-tion (art. L. 145-55 du Code de commerce) ; – la réponse du preneur à une offre de local de remplacement, à la suite d’un refus de renouvellement pour construire ou reconstruire (art. L. 145-18 du Code de commerce) ; – l’exercice par le preneur de son droit de priorité en cas de reconstruction d’un immeuble (art. L. 145-19 du Code de commerce) ; – l’exercice par le bailleur de son droit de repentir (après avoir refusé le renouvellement du bail) (art. L. 145-12 du Code de commerce).

9 La réforme du droit des contrats va-t-elle influencer les conditions de négociation des baux commerciaux ?

Alors que le Code civil était jusqu’alors muet sur les échanges précontractuels, la réforme du droit des contrats, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016, a notamment permis de réglementer cette période de négociations qui intervient en amont de la signature des contrats. La bonne foi occupe à ce titre une place primordiale dans le cadre de cette réforme. C’est ainsi, par exemple, que le futur article 1112-1 du Code civil prévoit que les parties ont un devoir général d’information précontractuel : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation [… ]. » Concernant la rupture abusive des pourparlers, la réforme du droit des obligations a consacré la jurisprudence dite « Manoukian » de la Cour de cassation, du 26 novembre 2003 (nos 00-10243, 00-10949), qui prévoit que les parties sont libres de négocier et d’y mettre fin à tout moment, sous réserve de la bonne foi. En revanche, si l’une des parties met fin aux pourparlers en commettant une faute, la réparation du préjudice ne peut porter que sur les frais avancés, frais de conseil notamment, à l’exception des gains attendus du contrat.

Cet élément est d’autant plus important que les négociations sont souvent longues, notamment pour les prises à bail complexes.

La réforme du droit des contrats a en revanche contredit la jurisprudence actuelle en matière de promesse unilatérale de contrat. En application de la jurisprudence « Consorts Cruz » du 15 décembre 1993 (n° 91-10199), le promettant pouvait retirer la promesse tant que l’option n’avait pas été levée par le bénéficiaire de la promesse. Cette jurisprudence permettait ainsi à certaines parties de se désengager de leur promesse, tant que le bénéficiaire de l’option ne l’avait pas levée. Désormais, la révocation d’une promesse de bail par exemple, pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter, n’empêchera pas la formation du contrat de bail. En outre, le contrat de bail conclu en violation de la promesse unilatérale avec le tiers qui en connaissait l’existence est nul.

Ce renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation est bienvenu puisqu’il permet une sécurité juridique accrue dans la vie des affaires.

10 Comment la réforme du droit des contrats va-t-elle impacter le contenu des baux commerciaux ?

Concernant le contenu des baux commerciaux, la principale question qui pourrait se poser est de savoir si le bail commercial constitue un contrat d’adhésion. En effet, le futur article 1110 du Code civil dispose : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. » L’enjeu de cette qualification de contrat d’adhésion réside dans la sanction qui est prévue. En effet, le futur article 1171 du Code civil dispose : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation. » Par conséquent, les dispositions qui créent « un déséquilibre significatif » dans le cadre des contrats « d’adhésion » seront réputées non écrites. En l’état, il est difficile de savoir quels seront les critères qui seront retenus par la jurisprudence pour définir un contrat d’adhésion. En effet, dans la mesure où le contrat d’adhésion est défini comme celui dont les conditions générales ont été soustraites à la négociation, de nombreuses questions se posent : – L’existence d’un bail présentant des conditions générales et des conditions particulières sera-t-elle de nature à entraîner plus aisément la qualification de contrat d’adhésion ?

– Comment démontrer que ces conditions générales ont été soustraites à la négociation ?

– Faudra-t-il que les dérogations aux conditions générales soient nombreuses ?

L’enjeu est de taille, et il est probable que cette question fasse l’objet d’un abondant contentieux, notamment en matière de baux commerciaux. Affaire à suivre.

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Close LightboxCONTEXTE

La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif (art. 2 du Code civil)RÉFÉRENCES

Rapport d’information déposé par la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, n° 3843, enregistré à l’Assemblée nationale le 15 juin 2016 Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises Décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif au bail commercial Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques Décret n° 2016-296 du 11 mars 2016 relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercialATTENTION

La loi Pinel prévoit que la refacturation des charges, impôts, taxes et redevances liés au bail donne lieu à un état récapitulatif annuel adressé par le bailleur au locataire. Cet état doit être communiqué au locataire au plus tard le 30 septembre de l’année suivant celle au titre de laquelle il est établi. Il incombera donc au bailleur d’envoyer au locataire, au plus tard le 30 septembre 2016, l’état récapitulatif annuel de l’exercice 2015.À NOTER

Un décret n° 2016-296 du 11 mars 2016 relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial prend en compte l’extension de la faculté donnée aux bailleurs et aux locataires d’un bail commercial de recourir à la LRAR pour la notification du congé par le locataire, pour le renouvellement du bail et pour sa déspécialisation.

Il est notamment précisé que lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire.À SAVOIR

Depuis la loi Pinel, l’ICC est toujours possible en tant qu’indice de référence lorsque les parties conviennent d’une clause d’indexation, mais l’ICC ne peut plus être utilisé pour le calcul du loyer plafonné.Focus sur l’imprévision

Le futur article 1195 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats, dispose : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Cet article constitue une nouveauté : les parties pourront désormais tenter d’obtenir la révision du contrat ou sa résiliation en cas de changement de circonstances imprévisibles lors de sa conclusion. Cette révision sera néanmoins vraisemblablement difficile à obtenir puisqu’il faudra démontrer non seulement le changement de circonstances imprévisibles, mais également l’exécution excessivement onéreuse du contrat.

En matière de baux commerciaux, il est communément admis que le bailleur n’est pas l’associé du preneur, ce qui rendra « l’exécution excessivement onéreuse » du contrat d’autant plus délicate à démontrer. Enfin, préalablement à toute action judiciaire, les parties devront au préalable tenter une renégociation amiable des conditions du contrat.

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