Jurisprudence Quemener : les retraitements à effectuer sur les plus-values de cession de titres de sociétés à l’impôt sur le revenu

Jurisprudence Quemener : les retraitements à effectuer sur les plus-values de cession de titres de sociétés à l’impôt sur le revenu

En raison de la semi-transparence fiscale des sociétés soumises à l’IR, les associés sont directement imposés entre leurs mains à raison des bénéfices réalisés par la société. 

En cas de cession des titres, les bénéfices non distribués sont imposés lors de leur réalisation, mais également lors de la cession des titres par leur propriétaire puisqu’ils contribuent à augmenter la valeur desdits titres (et mécaniquement le montant de la plus-value).

Ce schéma amène à une double imposition des bénéfices et, dans certaines situations, à une double déduction des pertes.

Afin de corriger ce phénomène, la jurisprudence Quemener prévoit que le prix de revient des titres doit être augmenté (i) du montant des bénéfices non distribués et (ii) des pertes que l’associé a comblées, et à l’inverse que le prix de revient doit être diminué (i) des déficits et (ii) moins-values déjà déduits par la société ainsi que (iii) des bénéfices distribués.

La fiscalité de la cession de titres de société soumise à l’impôt sur le revenu

Le calcul de la plus ou moins-value réalisée à l’occasion de la cession de titres de sociétés soumises à l’IR doit être effectué avec précaution.

La semi-transparence des sociétés soumises à l’IR, l’apport de la jurisprudence QUEMENER

A\ Explications quant à la notion de sociétés fiscalement semi-transparentes

Certaines sociétés sont, en application des articles 8 et suivants du Code Général des Impôts (CGI) et des articles 239 et suivants du même Code, soumises de plein droit au régime de l’Impôt sur le Revenu (IR).

Egalement, certaines sociétés normalement soumises au régime de l’Impôt sur les Sociétés (IS) peuvent opter pour le régime de l’IR en application des articles 8 et 239 bis AA et suivants du CGI.

Il s’agit (de manière non exhaustive) :

  • Des Sociétés en Nom Collectif (SNC) ;
  • Des Sociétés Civiles (SC) ;
  • Des SARL à associé unique lorsque celui-ci est une personne physique (EURL) ;
  • Des Entreprises Agricoles à Responsabilité Limitée (EARL) ;
  • Des Sociétés en Commandite Simple pour la part des commandités (SCS) ;
  • Des Sociétés A Responsabilité Limitée (SARL), Sociétés Anonyme (SA) ou Sociétés par Actions Simplifiées (SAS) qui ont opté pour l’IR.

En application du régime des sociétés soumises à l’IR, les bénéfices réalisés par la société sont imposés entre les mains des associés comme s’ils les avaient eux-mêmes réalisés, peu important qu’il n’y ait pas eu de distribution de dividendes.

Ainsi, par exemple, un associé personne physique détenant 50 % des actions d’une SAS ayant opté pour l’IR et réalisant un bénéfice imposable de 150 000 € sera imposé entre ses mains pour 75 000 €. La SAS étant commerciale par la forme, ces 75 000 € seront imposés par principe entre les mains de l’associé dans la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC).

Autre exemple, une SARL soumise à l’IS détenant 50 % des actions d’une SAS ayant opté pour l’IR et réalisant un bénéfice imposable de 150 000 € sera imposée entre ses mains pour 75 000 €. La SARL holding sera donc imposée à l’IS sur ces 75 000 €.

De la même façon, les résultats déficitaires de la société à l’IR peuvent être déduits du revenu imposable des associés personnes physiques ou du résultat imposable des personnes morales soumises à l’IS, dans la limite des conditions de déductibilité de droit commun.

A ce stade, aucun des éléments que nous venons d’exposer n’est réellement problématique. Le problème apparait lorsque l’associé cède les titres sociaux qu’il détient dans la société soumise à l’IR.

B\ La problématique de la semi-transparence fiscale en cas de cession de titres sociaux

Pour bien comprendre cette problématique, il est plus pédagogique de passer par un exemple.

Soit la SARL X ayant opté à l’IR, détenue à égalité par M. Y et Mme Z. Sur son exercice clos au 31 janvier 2016, la SARL constate un bénéfice imposable de 150 000 €. Ces 150 000 € font l’objet d’une imposition entre les mains de M. Y et de Mme Z pour 75 000 € chacun, malgré le fait que la société n’ait pas procédé à une distribution de dividendes. Par conséquent, M. Y et Mme Z sont imposés sur des sommes qu’ils n’ont pas touchées.

Le 5 janvier 2017, Mme Z, lassée de l’activité qu’elle exerce au sein de la SARL et désireuse de se reconvertir dans la profession de coiffeuse, cède ses parts sociales de la SARL pour un montant de 355 000 € à M. T.

Après application de l’abattement pour durée de détention auquel Mme Z peut prétendre, et en sachant qu’elle avait acquis ses parts sociales pour un prix de 10 000 €, notre future coiffeuse se retrouve avec une plus-value nette avant impôt de 345 000 €. Cette plus-value sera par conséquent imposée l’année suivante, au titre des revenus que Mme Z aura perçus durant l’année 2017.

Néanmoins, Mme Z, qui fut jadis étudiante en droit et qui à ce titre s’est déjà penchée sur les problématiques du droit fiscal, se rend compte d’une chose : les bénéfices réalisés par la société sur son exercice 2016, qui représentaient pour sa part 75 000 €, sont imposés entre ses mains alors même qu’ils n’ont pas été distribués et sont donc restés sur les comptes de la société. Dès lors, la présence de ce bénéfice non-distribué de 75 000 € a mécaniquement augmenté la valeur de ses parts sociales, et par voie de conséquence a augmenté la plus-value qu’elle réalise à l’occasion de la cession de ses parts.

Finalement, Mme Z se rend compte que ces 75 000 € sont imposés au titre de l’exercice clos de 2016, mais également au titre de la plus-value qu’elle réalise à l’occasion de la cession de ses parts. Autrement dit, la même somme est imposée deux fois entre ses mains alors même qu’elle ne l’a perçue qu’une seule fois.


Face à ce problème, qui s’analyse tout bonnement en une double imposition, la jurisprudence a réagi. C’est à l’occasion de son arrêt CE 16 février 2000 n° 133296 SA Ets QUEMENER que le Conseil d’Etat a posé un mécanisme correctif.

La solution de l’arrêt Quemener : le retraitement de la valeur d’origine des titres cédés dans le calcul de la plus ou moins-value de cession

L’arrêt Quemener a entrainé une véritable révolution.

Cette jurisprudence a depuis été complétée par d’autres arrêts, notamment par l’arrêt CE 9 mars 2005 n° 248825 min. c/ Baradé, et encore récemment par l’arrêt CE 8 novembre 2017 n° 389990 SCI Joluger. Par souci de clarté, et dans la mesure où toutes ces jurisprudences sont fortement liées, nous intègrerons leurs enseignements respectifs dans nos propos.

Il ressort de cette jurisprudence que des correctifs doivent être apportés à l’assiette des plus ou moins-values constatées à l’occasion de la cession des titres sociaux de sociétés soumises à l’IR.

Les retraitements à effectuer en cas de cession de titres de société à l’IR : la neutralisation d’une double imposition

Nous repartirons ici de l’exemple de Mme Z et de sa problématique de double imposition des 75 000 €, en premier lieu au titre de l’exercice clos de la société et en second lieu au titre de sa plus-value de cession.

Face à cette situation, il ressort de la jurisprudence Quemener et de ses suites que le prix de revient des parts sociales de Mme Z doit être retraité en vue de neutraliser la double imposition des 75 000 €.

Plus précisément, le prix d’acquisition des parts sociales doit être majoré :

  • De la quote-part du cédant dans les bénéfices de la société qui ont été imposés entre ses mains et non distribués ;
  • Des résultats exonérés en raison d’un avantage fiscal auquel le législateur a entendu donner un caractère définitif
  • Des pertes de la société que le cédant a comblées.

Pour Mme Z, cela signifie très concrètement que les parts acquises pour 10 000 €, qui constituent la valeur d’origine dans le calcul de sa plus ou moins-value, doivent être augmentées des 75 000 € sur lesquels elle a été imposée au titre de l’exercice 2016 mais qu’elle n’a pas perçus.

Au final, la valeur d’origine dans le cas de Mme Z sera de 85 000 €, ce qui fera mécaniquement descendre sa plus-value imposable à 270 000 € au lieu de 345 000€.

A supposer que le taux d’imposition moyen de Mme Z soit de 30%, l’application de cette règle lui fera économiser 22 500 € d’impôt.

C’est là qu’apparait toute l’utilité du mécanisme correctif de la jurisprudence Quemener et de sa suite.

Les retraitements à effectuer en cas de cession de titres de société à l’IR : la neutralisation d’une double déduction

 La jurisprudence Quemener et sa suite sont cependant nettement moins avantageuses pour tous les habiles contribuables qui créait des sociétés structurellement déficitaires afin de faire baisser leur propre revenu imposable.

Plus précisément, le prix d’acquisition des parts sociales doit être diminué :

  • Des déficits de la société que l’associé a effectivement déduits de son propre revenu imposable ;
  • De la quote-part des bénéfices qui ont été distribués à l’associé.

Prenons un exemple :

M. X est associé depuis le 1er janvier 2016 de la société X imposée à l’IR à hauteur de 50 %. Au cours de l’exercice clos au 31 décembre 2016, la société X a constaté un déficit net de 150 000 €, répercuté par M. X sur ses propres revenus à hauteur de sa participation dans la société, soit à hauteur de 75 000 €.

M. X décide cependant de céder ses titres sociaux. Le 5 janvier 2017, il cède ses titres pour un montant de 450 000 €. Ayant acquis ses titres pour un montant de 250 000 €, M. X constate une plus-value de 200 000 €.

Néanmoins, en application du mécanisme correctif de la jurisprudence Quemener, M. X devra majorer le prix de revient de ses titres des sommes qu’il a pu déduire à raison de l’exercice clos au 31 décembre 2016.

Par conséquent, sa plus ou moins-value (x) sera de :

x = Prix de cession – (Prix de revient – pertes répercutées sur le revenu de M.X)

x = 450 000 € – (250 000 € – 75 000 €)

x = 450 000 € – 175 000 €

x = 275 000 €

Le mécanisme correctif de Quemener est donc à double tranchant. Néanmoins, on en comprend parfaitement la logique. Après tout, pourquoi autoriser les doubles déductions si on neutralise les doubles impositions ?

Application complète des retraitements de la jurisprudence Quemener

Comme nous venons de le voir le prix de revient des titres sociaux cédés doit être :

  • D’une part, augmenté des bénéfices imposés de la société ; des pertes de la société comblées par l’associé cédant ; des résultats exonérés en raison d’un avantage fiscal auquel le législateur a entendu donner un caractère définitif ;
  • D’autre part, diminué des déficits de la société répercutés par l’associé sur ses revenus ; des bénéfices de la société qui ont fait l’objet d’une distribution à l’associé.

Prenons un exemple :

M. X est associé dans la SARL X à hauteur de 40%. Il a acquis ses parts le 1erjanvier 2013, lors de la constitution de la société. Il a à cette occasion réalisé un apport en numéraire de 50 000 €. Immédiatement après sa constitution, la SARL X a opté pour l’imposition de ses résultats à l’IR.

Pour son exercice clos de 2013, la SARL constate un déficit de 17 000 €. Les associés de la SARL décident de combler ce déficit au prorata de leurs participations respectives.

Pour son exercice clos de 2014, la SARL constate un déficit de 2 000 €. Les associés ne comblent pas ce déficit. Il est répercuté sur le revenu imposable des associés au prorata de leurs participations respectives, et passe donc en déduction de leur revenu.

Pour son exercice clos de 2015, la SARL constate un bénéfice imposable de 8 000 €. Les associés décident de procéder à une distribution de dividendes. 4 000 € sont ainsi répartis entre les associés au prorata de leurs participations respectives.

Pour son exercice clos de 2016, la SARL constate un bénéfice imposable de 32 000 €. Les associés décident de procéder à une distribution de dividendes. 10 000 € sont ainsi répartis entre les associés prorata de leurs participations respectives.

Au mois de janvier 2017, M. Y s’est rapproché de tous les associés de la SARL X. Percevant le potentiel de la société, il a proposé à tous les associés de racheter l’ensemble de leurs participations. M. X décide ainsi de céder ses parts sociales de la SARL X. La cession est constatée par un acte en date du 23 janvier 2017, et M. X empoche à cette occasion un prix de cession de 170 000 €.

Question : Quel est le montant de la plus ou moins-value de M. X ? Pour déterminer ce montant, il convient de faire application de la jurisprudence Quemener.

Ainsi, on doit déterminer les retraitements du prix de revient à effectuer. Ces retraitements se déclinent comme suit :

  • Pour 2013, le déficit a été comblé par les associés au prorata de leurs participations respectives. M. X détenant 40% des parts sociales, il a donc comblé les pertes à hauteur de 6 800 €. Cette somme doit venir en majoration du prix de revient.
  • Pour 2014, le déficit a été intégralement répercuté sur les revenus des associés au prorata de leurs parts. M. X a donc diminué son revenu imposable de 800 €, et cette somme doit venir en minoration du prix de revient.
  • Pour 2015, le bénéfice distribué imposé de la société est de 8 000 €, et la distribution de dividendes est de 4 000 €. M. X a donc payé l’impôt sur les bénéfices de la société à hauteur de 3 200 €, et a perçu des dividendes pour 1 600 €. La première somme doit venir en majoration du prix de revient, et la seconde somme doit venir en minoration du prix de revient.
  • Pour 2016, le bénéfice est de 32 000 €, et la distribution de dividendes 10 000 €. M. X a donc payé l’impôt sur les bénéfices de la société à hauteur de 12 800 €, et a perçu des dividendes pour 4 000 €. La première somme doit venir en majoration du prix de revient, et la seconde somme doit venir en minoration du prix de revient.

Maintenant que les retraitements à effectuer sont déterminés, il convient de déterminer si M.X fait une plus ou une moins-value à l’occasion de la cession de ses titres (x). Le calcul est le suivant :

x = 170 000 – (50 000 + 6 800 – 800 + 3 200 – 1 600 + 12 800 – 4 000)

x = 170 000 – 66 400

x = 103 600

M. X réalise donc à l’occasion de la cession de ses parts sociales une PV de 103 600 €. 

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